Entretien avec SoSkuld : La vie d’une aide-soignante
C’est dans une ambiance manga que Solange, alias SoSkuld, illustre le quotidien de Skuld, jeune aide soignante candide, naïve et maladroite. À travers son histoire, l’autrice-illustratrice, partage avec humour les joies mais aussi les difficultés de la vie en milieu hospitalier.
Tu as un parcours un peu particulier, peux-tu nous en parler ?
J’ai eu un bac littéraire en 2004 puis j’ai embrayé sur deux premières années de médecine, pour me rendre compte que je n’étais pas du tout armée pour ça. J’adore le corps humain, j’ai toujours eu envie de soigner les gens, du coup j’ai passé le concours d’infirmière que j’ai eu du premier coup. Seulement, au bout de 3 ans je me suis arrêtée parce que je n’arrivais pas à passer les stages, je me plantais à chaque examen, c’était très dur. Suite à ça j’ai travaillé pendant 6 ans comme aide soignante, puis j’ai décidé de me consacrer entièrement à la BD. Je suis donc rentrée à l’Académie Brassart Delcourt, une école de BD parisienne qui a ouvert en 2014, dans la promotion Arthur De Pins dont je suis sortie diplômée en 2018.
Comment as-tu développé ton style d’illustration, quels sont les dessinateurs qui t’inspirent ?
Comme tous les dessinateurs, mes inspirations sont très diverses. J’étais passionnée par le manga quand j’étais adolescente ; Sailor Moon, Dragon Ball Z ou Nicky Larson par exemple. Quand j‘ai commencé à dessiner je copiais beaucoup, je baignais dans la soupe manga, je m’inspirais très peu des auteurs européens ou américains. Au début de mon blog, je me suis surtout inspirée de Souillon (l’auteur de Maliki), tant dans le style que dans le rythme, c’était l’un des premiers à faire du blog. Je me suis également inspirée de blogs tels que Laurel, Melaka, Boulet… j’ai pris mes influences non-japonaises à cette époque là.
Plus globalement, en terme de style, j’aurais du mal à donner des noms précis, ça foisonne en permanence. En ce moment, j’aime beaucoup les travaux de concept artist. Ce sont des gens qui travaillent dans le domaine du jeu vidéo et qui font des images de concept, pour mettre en place des univers. Ils ont un style de dessin très brut et rapide dont j’essaie de m’inspirer pour rendre mon propre travail plus riche.
Tu as commencé avec un blog, que tu continues toujours à alimenter, penses-tu que ce médium t’apporte une proximité particulière avec ton public ?
Oui bien sûr ! En fait, ça s’est fait en plusieurs étapes. Quand j’étais à l’école d’infirmière, je faisais des petits dessins humoristiques qui faisaient rire mes camarades. Un jour, une bonne amie m’a poussée à les poster sur internet et m’a ouvert un blog. J’y ai pris goût, puis petit à petit mon blog a pris de l’ampleur, quand je postais sur les réseaux sociaux les gens se sont mis à partager. L’histoire de mon personnage a grandi avec les réseaux sociaux qui lui ont donné une plus grande visibilité. Grâce au soutien du public, j’ai aussi eu la chance de m’autoéditer, j’ai fait deux campagnes de crowdfunding pour deux petites BDs de Skuld qui ont trouvé leur public.
Ton personnage principal, Skuld, est inspiré de ta vie d’aide soignante, peux-tu nous en dire plus sur sa création ?
Au départ c’était de l’autobiographie, à travers ce personnage, je dessinais des impressions sur mes stages ou sur mon stress. Ca me servait d’exutoire. Je le faisais essentiellement pour moi, j’ai pas imaginé une seconde que ça prendrait une telle ampleur.
Plus tard, pour que mon personnage ressorte mieux, je lui ai fait les cheveux rouges, ce qui permettait de mieux la voir dans mes BDs monochromes, en plus d’être la couleur du sang et du soin. J’ai laissé en elle toute la naïveté que je pouvais avoir quand j’ai commencé, elle a une candeur et une maladresse qui la rendent attachante. Avec le temps, c’est devenu un personnage et une scission s’est créée entre elle et moi. Je l’ai laissée au stade de l’éternelle apprentie, elle a du mal à apprendre de ses erreurs ce qui la rend drôle ; comme c’est du gag, j’exagère les situations. Elle est aussi victime des dysfonctionnements du système et les dénonce.
Aujourd’hui tu reprends du service pour soutenir le service hospitalier, penses-tu en parler prochainement dans une BD ?
Alors, j’ai été un peu optimiste en annonçant que j’allais faire deux jours par semaine, pour l’instant je n’ai fait que deux vacations. Je me suis inscrite sur une application qui s’appelle “medGo” et j’ai commencé à aller en service Covid dans un hôpital pas loin de chez moi. Sinon, j’ai déjà fait une série de dessins dans laquelle j’ai surtout parlé des masques, mais en faire une BD entière ça va être compliqué étant donné que je n’y suis pas allée assez souvent, d’autant plus qu’il me faut du recul pour faire mes histoires. Mais j’ai vu et vécu des choses très intéressantes que j’essayerais certainement de raconter dès que je le pourrais.
Souhaites-tu à travers tes illustrations faire entendre les revendications des soignants ?
Quelque part je le fais déjà un peu. J’en ai déjà fait quelques unes, comme celle de la soignante au chevet d’un patient Covid avec un masque de Dark Vador. Ça fait des années que les soignants, toute profession confondue, tirent la sonnette d’alarme du manque de moyens à l’hôpital. Finalement, on se rend compte qu’un système de santé avec des moyens réduits et en manque d’effectif ne peut pas fonctionner correctement.
Qu’est-ce qu’on peut te souhaiter pour la suite ?
Pour commencer, faire publier le projet sur lequel je travaille actuellement. Je fais beaucoup moins de paramédical qu’avant et comme je ne suis plus dans les services, j’ai moins d’anecdotes à raconter. Mais mon ambition aujourd’hui, c’est d’être autrice de BD ; en ce moment je travaille en collaboration avec un scénariste et j’espère que notre projet verra le jour et que je pourrais continuer à dessiner sur tous les sujets et toutes les choses que j’aime pendant encore très longtemps.
Retrouvez les créations de SoSkuld sur sa page Instagram ainsi que sur son site internet.
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